La polémique du chiffon.

Une question étrange a surgi au conseil communal de Saint-Gilles lorsque certains élus locaux du parti écolo ont proposé de réserver l’accès de la piscine communale aux femmes certains jours de la semaine. Le but étant, bien sur, d’éviter la promiscuité avec les hommes dans un lieu public. Leurs pulsions sexuelles pourraient être tellement irrépressibles et animales qu’elles anéantiraient chez les vertueuses le goût des plaisirs de l’eau chlorée. Cachez ce sein que je ne saurai voir…Quand la religion moralise à ce point nos institutions, nous avons le devoir, comme responsable politique, de réagir.

Si l’autorité publique ne doit pas tout réglementer, il importe qu’elle garantisse certains principes indiscutables notamment l’égalité des sexes et la mixité sexuelle dans les lieux publics.

Les symboles religieux appartiennent aux croyants, et à eux seuls. Cependant, la liberté des cultes et la séparation de la religion et de l’ETAT constituent le fondement central de la coexistence consensuelle entre croyants et non croyants. Il est capital de veiller à ce que, dans un état laïque, l’on puisse concilier cette liberté de vivre sa religion avec certaines valeurs qui fondent notre société comme l’égalité, la mixité, la séparation entre les affaires religieuses et la puissance publique.


J’ai longtemps éprouvé des difficultés à intervenir dans le débat sur le port du voile. Non pas par lâcheté mais parce qu’il m’est difficile de faire la synthèse entre deux options : le sacro-saint droit à faire ce qu’on veut de son corps et donc de le couvrir, et le fait de le revêtir d’un masque de tissu, symbole par excellence de l’enfermement et de la sujétion du corps de la femme. Masquer leur féminité permet aux femmes d’éviter d’être mangée par le désir libidinal de l’homme qui pourrait perdre tout contrôle devant une fille non voilée.

La pratique de la tolérance est garante d’un bon fonctionnement démocratique certes; mais l’angélisme serait de croire que tout est beau dans le meilleur des mondes.

La laïcité organise sans nul doute le respect des différences au sein de la société. Le lieu privilégié ou se noue ce contrat est l’école. Le voile, comme la kippa et toutes les manifestations religieuses est un défi à l’école publique et la secoue dangereusement. Dans l’enceinte de l’école, il ne devrait y avoir aucune manifestation religieuse et politique. Les enseignants témoignent de la difficulté d’amener les filles à la piscine, et combien les spectacles de fancy-fair posent de plus en plus de problèmes parce que les petites filles sont dénudées et s’agitent en dansant, dévoilant ainsi une impudeur contestée par les fondamentalistes. Les cours de biologie sont également remis en question. Tout ça ne peut nous laisser indifférent. On va à l’école pour apprendre et s’instruire et donc s’émanciper ; pas pour afficher sa religion.

Sous couvert de relativisme culturel, ou d’exception identitaire, on est tenté d’accepter les compromis reconnaissant à chacun de poursuivre les coutumes de son pays d’origine. Mais ce particularisme culturel laisse percevoir ses limites et appelle à une vigilance certaine devant le totalitarisme religieux. La tolérance parfois peut devenir intolérable. A lire les propos de Yacob Mahi, professeur de religion islamique, il y a bien péril en la demeure :  » notre société, entendez occidentale, encourage toute forme de permissivité au nom de la liberté de mœurs. La perversion sexuelle devient un signe de la tyrannie de la liberté individualiste. De la pornographie à l’homosexualité, en passant par la prostitution, tout ceci montre combien cette culture du non-sens qui prend forme est le signe d’un malaise éthique « . On imagine déjà comment il parle des indécentes qui n’arborent pas le voile et qui poussent aux vices des pauvres males concupiscents. Je redoute aussi ceux qui, demain, par moralisation ou préceptes religieux, vont juger certains comportements sexuels comme déviants ou irrévérencieux.

Je veux me souvenir des luttes féministes qui réclamaient le droit au plaisir, le droit de pouvoir disposer librement de son corps sans s’encombrer de tabous et de préceptes religieux. Je ne veux pas d’une société austère et sécuritaire dont certains croyants pourfendraient les uns et labelliseraient les autres. Nous bénéficions ensemble, hommes et femmes d’Occident, d’une liberté de mœurs qui reste presque partout ailleurs dans le monde, un rêve inaccessible ou un scandale insupportable. Il importe de garantir ce maintien des libertés individuelles. C’est bien l’enjeu d’une société progressiste, concilier le droit de chacun à jouir du plaisir sans contrainte et sans morale religieuse.

Par ailleurs, si chacune est bien libre de vivre sa foi religieuse individuellement dans la sphère privée, il importe que cette manifestation ne fasse pas l’objet de pression sociale contraignante qui retentit sur la sphère publique. Or, c’est là que le bas blesse. Je ne peux accepter l’idée que nous cautionnons des comportements moyenâgeux qui clichent la femme sous une forme de domination silencieuse. Je ne peux accepter que l’on infantilise la jeune femme en enfermant sa féminité. Je ne peux accepter que la contrainte sociale et familiale régule et conditionne le devenir des femmes et leur émancipation. Notre société a tout à gagner de la mixité sociale et culturelle.

Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, je souhaite apporter mon soutien à toutes ces femmes silencieuses qui arborent le voile par oppression ou autre diktat. Je ne veux pas qu’elles se sentent lâchées en entendant le discours actuel du  » politiquement correct  » où personne n’ose se positionner publiquement sur cette question. Je veux qu’elles sachent que chaque fois qu’un voile, qu’un foulard est porté par contrainte en Belgique, nous serons à leur coté pour le dénoncer, ensemble, avec conviction. Nous crierons ensemble sur tous les extrémismes qui enferment le corps de la femme et caricaturent injustement celles qui refusent de le porter comme des femmes indécentes et peu vertueuses. Mes concitoyennes qui se font cracher dessus par ce qu’elles lèvent la tête avec audace aux pressions de la rue. Elles n’ont pas choisi d’être voilées et pour elles, c’est un repli identitaire et une véritable aliénation. Le voile leur ferme la route vers la mixité et l’occupation de l’espace public.

La liberté des cultes ne peut entraver la liberté des femmes à s’émanciper.

Je ne m’autorise nullement de juger celles qui le portent par volonté, je ne les stigmatise pas. Il est le fruit d’un cheminement spirituel où le fruit choix vestimentaire exprimant une certaine pudeur. Elles ne sont pas fragiles, elles n’ont pas besoin de notre soutien. Leur voile n’est pas une insulte. Il est le fruit de leur volonté. Mais ce foulard ne sera pas exhiber comme un étendard dans les écoles publiques, c’est le socle minimal pour garantir la mixité et réaffirmer que notre société a fait de l’égalité des sexes une valeur indiscutable.

La coexistence de nos différences est à ce prix. C’est ce prix que les femmes pourront dormir tranquilles et l’on ne reculera pas dans le combat de l’égalité des sexes.

Catherine FRANCOIS