L’insoutenable leçon du décret inscription
Choisir une école est un moment déterminant dans la scolarité de l’enfant. Cette étape importante conditionne sans nul doute l’avenir et l’émancipation de nos bambins Cette année, les inscriptions en secondaire déchainent les passions parce chaque parent sait combien le déterminisme social se joue au moment du choix de l’école. En choisissant une école pour leur rejeton, les nantis misent pour que la reproduction sociale fonctionne,c’est à dire que chacun reste dans son milieux, chacun reste bien à sa place.
C’est pour cette raison que l’application du décret-inscription de Marie Arena suscite autant d’angoisses. Ce décret propose de rebattre les cartes, de changer l’ordre des choses et de bouleverser les classes sociales. C’est étonnant les moyens et les énergies que déploient certains parents aisés qui, sans pudeur, se mêlent à des pratiques curieuses empruntant parfois la parfaite panoplie du campeur version randonneur des Cévennes, louant des mobil-home ou pire rétribuant de la main d’oeuvre clandestine pour ne pas devoir endurer le difficile labeur imposé par l’attente de la file qu’ils organisent devant leur école huppée. On aurait presque envie de les plaindre par ce froid glacial. Est-ce une manière pour eux de se rappeler les difficiles files d’attente endurées par les familles devant certains CPAS pour s’enquérir du chèque mazout? Sont -ils devenus fous? L’angoisse générée par le décret révèle haut et fort l’absence de mixité sociale de nos écoles et l’inégalité de notre société.
J’ai eu la chance de tester l’avant décret, c’est-à-dire la période « libre » celle où rien n’était réglementé ou presque. Lorsque fût venu le temps de me préoccuper de l’inscription de ma chère tête blonde, j’ai fait un tour téléphonique des écoles publiques qui géographiquement se trouvaient à une distance proche de mon domicile. Par téléphone, les établissements élaboraient ainsi leurs propres règles d’inscription et de sélection : certains souhaitaient le bulletin de l’enfant et une lettre de motivation rédigée par le petiot, d’autres souhaitaient m’inviter à leur porte ouverte. N’étant pas autorisée à en connaître la date, je devais laisser mes coordonnées et il me rappellerait (je présume que la consonance de mon nom, j’avais toutes les chances d’être retenue). C’était ce qu’on pourrait appeler une porte semi-ouverte; en fonction de son quartier, de sa situation sociale ou de la belgitude de son nom de famille, l’école nous rappellerait. D’autres enfin me répondaient gentiment qu’ils faillaient téléphoner en période d’inscription quelques mois plus tard pour valider celle-ci. Il fallait être très organisé et expert pour répondre aux différentes stratégies imposées par les écoles. Le décret a mis en lumière ces incohérences indignes d’un pays où l’enseignement est gratuit et accessible à tous. Le décret a ainsi dessiné le cadre permettant de la cohérence (les mêmes règles pour tous) réduisant ainsi les fantasmes sélectifs de certains établissements scolaires, en objectivant définitivement les règles d’inscription.
Les parents qui se sont déplacés quelques jours en avance pour l’inscription n’ont fait que révéler au grand jour ce que nous savions déjà tous : l’existence des « écoles bourgeoises » où la sélection financière évitait sous l’ancien
régime, la promiscuité des milieux sociaux ceux-la pour qui, le mélange de classe serait un véritable cauchemar. Rien ne justifie au niveau pédagogique que ces écoles là soient meilleures que les autres, juste peut être parce que leurs bâtiments scolaires ont plus fière allure. S’ils font la file ces parents-là, c’est parce qu’ils ont la trouille que leurs progénitures se mélangent avec des enfants pauvres, tous issus de milieux défavorisés. Ces files de SDF d’un jour, nantis pour la plupart, rendent visibles les processus de ségrégation sociale. Derrière les beaux discours sur l’égalité et le bien vivre ensemble se cache une démonstration parfaite de ce que les parents attendent véritablement de l’école, qu’elle reste le moteur privilégié de la reproduction sociale fondée sur l’inégalité sociale. Et d’ailleurs, la file n’est-elle pas l’étoile supplémentaire accordée aux écoles dans le grand jeu de marketing racoleur auquel se livre certains établissements? Savent-ils que la richesse vient du mélange et de la mixité, je l’ai testé au quotidien avec mes enfants qui fréquentent une école qui, au moment de leur inscription, était stigmatisée comme une école de pauvre, classée en discrimination positive par la Communauté française et où la bonne classe moyenne se gardait bien d’y placer sa progéniture. Pourtant cette école, comme tant d’école sans file, développe les conditions nécessaires pour que nos enfants deviennent des hommes et des femmes libres, émancipés et responsables. Ces écoles sans file enseignent non seulement les savoirs de base mais rappellent que la mixité sexuelle, sociale et culturelle est une condition essentielle pour viser l’excellence de tous les enfants. Ces écoles sans file sont des écoles plurielles, riches de ces rencontres métissées qui favorisent la fraternité et l’égalité. Savent-ils que nous attendons tous de l’école, quelque que soit notre milieu, qu’elles amènent nos enfants vers la connaissance parce que comme le disait CONDORCET « Il n’y a pas de liberté pour l’ignorant ». Savent-ils que les écoles sans file construisent l’intelligence, éveillent le sens critique et les savoirs-faire. Savent-ils que l’école du chacun pour soi produit l’égoïsme, le repli, et l’intolérance.
Si le décret ne changera pas la condition humaine car l’avantage des riches est d’avoir toujours les moyens de déployer des stratégies de contournement de la loi, il a au moins provoqué le débat sur la société de demain.
Catherine François
Co-fondatrice et présidente de « Choisir la Communale » à Saint-Gilles
30 novembre 2007