1 Quels sont les orientations défendues actuellement en Belgique ?
A quel type de courant la législation répond-elle ?
Avant toute chose, il me paraît utile de préciser le statut légal de la prostitution en Belgique. Depuis, 1948, la prostitution est légale. Par contre l’exploitation de la prostitution demeure interdite par le code pénal, ce qui n’est pas sans poser problème dans l’exercice de l’activité. Notons encore que le racolage, l’incitation à la débauche et la publicité sont tout aussi illégaux. La loi de 1948 qui a instauré l’abolition de la réglementation permet cependant aux communes d’arrêter des règlements communaux qui ont pour objet d’assurer la moralité et la tranquillité publique. Ainsi certaines communes comme St-Josse et Schaerbeek ont voté des règlements communaux qui interdisent les personnes prostituées de se montrer à la vue des passants. Ils interdisent aussi l’affectation d’immeuble ou de partie d’immeuble à la prostitution. Paradoxalement, ces mêmes communes qui réglementent l’activité de la prostitution n’hésitent pas à la taxer par ailleurs. Ces mêmes communes qui ont une activité proche du proxénétisme harcèlent souvent de manière cyclique les personnes travaillant dans la prostitution. Les femmes sont embarquées sans aucun ménagement par les forces de police, jetées au cachot comme de vulgaires délinquantes. La philosophie qui sous-tend ce type d’intervention répressive est de nettoyer les quartiers des personnes prostituées.
Est-il besoin de préciser les conséquences néfastes de cette répression ?
L’expérience montre que plus les femmes seront harcelées moins elles se réinséreront spontanément au contraire. Soit elles continuent de se prostituer en toute clandestinité en multipliant les risques d’agression, d’exploitation, et les risques accrus de transmission de maladies sexuellement transmissibles, soit les personnes prostituées se déplacent vers d’autres lieux d’activités répétant ainsi les problèmes de cohabitation avec le nouveau quartier investi par les talons aiguilles.
On le voit en Suède, depuis la loi de pénalisation des clients, les personnes prostituées et leur clientèle ont migré vers le Danemark ou l’activité peut s’exercer presque normalement.
Deux orientations s’affrontent aujourd’hui lorsqu’on aborde la question de la prostitution. Le système abolitionniste tel que l’on connaît actuellement et le système réglementariste qui est appliqué partiellement puisque les Communes réglementent la prostitution.
Je souhaite privilégier l’approche réglementariste parce qu’elle me paraît la moins mauvaise à plusieurs égards. D’abord parce qu’elle n’enferme pas la prostituée dans une absence de statut néfaste en terme de droits sociaux ensuite parce que le système abolitionniste a montré de nombreuses lacunes entraînant flou, marginalisation et hypocrisie. Le courant abolitionniste s’épanche sur le sort de la prostituée la considérant comme une esclave sexuelle des temps modernes, qu’il faut réinsérer à tout prix tout en diabolisant les hommes qui auraient recours à ce type de service sexuel. Ces hommes qui sont nos pères, nos maris et nos fils. L’approche réglementariste plus pragmatique repose sur le principe du droit à disposer librement de son corps, acquis certain du féminisme.
Cette réglementation devrait donc passer, comme en Hollande par une dépénalisation des infractions liées à la prostitution (racolage, incitation à la débauche etc…) mais aussi du proxénétisme. La légalisation de la prostitution permet aux femmes de se prostituer dans de bonnes conditions ( pouvoir occuper ensemble un même lieux de prostitution, pouvoir s’associer en affaires etc…). Cela éviterait les abus tels que ceux que l’on connaît aujourd’hui en matière d’harcèlement policier, de fisc, d’abus en terme de loyers etc…Cela pourrait sortir la prostituée du milieu maffieux et clandestin qui entoure l’activité prostitutionnelle. L’idée étant qu’en réglementant l’activité prostitutionnelle, on donne une visibilité au commerce du charme et on lui donne un vrai statut social et fiscal. Aujourd’hui, la prostitution se déroule en marge de la légalité dans une zone d’ombre où les abus passent encore trop souvent inaperçus. C’est bien dans le milieu de la prostitution, et le Centre pour l’égalité des chances l’a montré dans ses multiples rapports, que l’on risque de rencontrer les victimes de la traite des êtres humains. C’est en légalisant l’activité prostitutionnelle, qu’on pourra s’attaquer réellement aux réseaux de traite en concentrant les efforts sur une réelle répression de ceux-ci. Et je lance ici l’idée de pénalisation du client dans le cas où celui-ci abuse d’une situation de détresse à l’égard de femmes forcée à se prostituer.
La question du statut me paraît importante
Pour une petite partie d’entres elles, les personnes prostituées travaillent sous le statut indépendant, pour d’autres elles sont soumises au statut de salariée, pour d’autres encore c’est l’absence de statut spécifique. Pour les salariées, les abus sont nombreux (particulièrement celles qui travaillent comme » serveuses « ) : déclaration incomplète voire inexistante de la sécurité sociale, les prostituées paient elles-mêmes leurs cotisations patronales, le régime du travail salarié n’est pas appliqué (pas de vacances, congé de maternité, etc..). Pour celles qui travaillent sous-statut indépendant, l’INASTI et la TVA n’ont aucun état d’âme à percevoir une partie des gains parce que la prostituée est citoyenne aux yeux du fisc mais délinquantes aux yeux de la loi.
Dépénaliser la prostitution et la reconnaître comme profession pourrait ainsi permettre aux autorités compétentes lutter contre le travail frauduleux et le travail au noir dans le secteur. Ce n’est pas parce qu’il y a de l’exploitation sur les chantiers de la construction avec des négriers que cette activité est prohibée et que l’on accorde pas des droits aux travailleurs. Même chose pour les travailleurs de la Fabrique Nationale, ce n’est pas parce qu’ils produisent des armes pour tuer que ces travailleurs ne sont pas défendus par le syndicat et ne bénéficient pas d’une protection sociale ! On pourrait dès lors imaginer une reconnaissance voire un agrément des bordels par les pouvoirs publics pour autant que nous ayons la garantie que ces établissements respectent un certain nombre de conditions. Il est donc tout aussi important de renforcer les différents services d’inspection compétents afin de garantir un contrôle strict de la législation sociale. Les conditions d’agrément pourraient être fixée par arrêté royal par le Ministère de l’emploi et du travail.
2. La prostitution a-t-elle une fonction sociale ?
En tout cas, la prostitution n’empêche en rien le viol comme semble le croire quantité de personnes.
Par contre, on peut dire qu’elle permet aux hommes et femmes de rencontrer un besoin sexuel dans l’immédiat. la plupart de la clientèle (masculine) peut assouvir un besoin sexuel, un fantasme voire une perversion. De là à penser qu’elle remplit une fonction sociale c’est vite dit. Le fait de rémunérer une personne pour assouvir un besoin sexuel pressant ne remplit pas une fonction sociale mais plutôt sexuelle et financière puisque la rémunération de la personne prostituée constitue sinon un salaire d’appoint une rentrée financière de toute façon.
Leur analyse complaisante des rapports humains qui se fonde sur le quotidien du macadam fait dire aux prostituées qu’elles ont en effet un savoir faire sexologique et pourquoi pas alors une fonction sociale. C’est une question qui reste bien ouverte.
Qui sont les prostituées et leurs clients ?
Il n’existe pas un profil strict et caricaturé des personnes qui se prostituent mais au contraire des personnes aux parcours pluriels et sinueux. Certaines commencent à se prostituer par l’intermédiaire d’un proxénète, d’autres parce qu’elles sont étranglées dans la spirale infernale des dettes et des soucis financiers Quoiqu’il en soit différents facteurs sont généralement avancés pour expliquer le pourquoi de la prostitution : des structures familiales chaotiques ou rigides, un passé d’abus sexuels, des facteurs économiques et sociaux, le manque de qualification Toutes les personnes prostituées proviennent de tous les milieux socio-culturels et économiques.
Qui est le consommateur de services sexuels :
Quant à celui qui rétribue une personne pour satisfaire ses besoins sexuels, le profil sociologique est tout aussi hétérogène : il est majoritairement marié (ou vivant maritalement), il est issu de tous les milieux socioculturels et son âge varie de 15 à 85 ans. Quel est cet homme- puisqu’il s’agit bien d’hommes dans la majorité des cas- qui a recours aux services sexuels d’une prostituée ? Les motivations sont de trois ordres et ont toutes tendances de partir du postulat que, dans une société patriarcale, il est plus que normal qu’une série de femmes soient disposées et disponibles sexuellement pour une série d’hommes en souffrance. Les motivations sont les suivantes :
Assouvir un besoin sexuel pressant, lié soit à un besoin de variété sexuelle, soit au souhait de vivre une expérience différente, soit encore la fascination d’une sexualité agressive, voire interdite. D’autres expriment des problèmes de solitudes, de contact et d’isolement, même si toutes ses frustrations ne sont pourtant pas du monopole des seuls hommes.
Le besoin de parler. Une partie de la clientèle trouve utile de parler de ses problèmes conjugaux et familiaux à une personne anonyme et impersonnelle. C’est ce qu’on appelle la fonction de thérapeute des personnes prostituées
Le souhait d’assouvir des demandes sexuelles perverses ou déviantes telles que l’exhibitionnisme, le fétichisme, le sado-masochisme, la zoophilie, la scatologie, les partouzes et la pédophilie dans certains cas.
3. La prostitution et la traite des êtres humains ?
La différence me paraît importante même si on ne doit pas dire qu’il existe la prostitution et la prostitution de second zone. Les filières de traite des êtres humains participent à un esclavage sexuel où la violence est monnaie courante. La Belgique s’est déjà dotée d’une législation stricte en la matière (je pense à la loi de 95) mais cela ne suffit pas.
Je reprendrais l’idée que j’ai déjà développé : c’est en sortant la prostitution du code pénal qu’on pourra enfin travailler à démanteler les réseaux maffieux qui organisent la traite des êtres humains. A la lumière de ces évènements, la question de la pénalisation du client devient dès lors intéressante : si on pénalise l’homme ou la femme qui a recours à une personne impliquée dans la traite des êtres humains, on peut dire que cette personne profite de l’état de détresse humaine et participe donc de quelque manière que ce soit à son exploitation. Exploitation parce que ces personnes se trouvent en situation précaire, dont on a confisqué les papiers et qui sont bien évidemment forcée de remettre l’entièreté des gains aux réseaux. On ne parlera pas d’indépendance, de conditions de travail mais plutôt de viols, d’exploitation et d’esclavage.
Catherine FRANCOIS